LES LECTURES DE JEAN-PIERRE HAUQUIER

Publié le par Biblotheque municipale de bonneuil en valois

                En regroupant des livres dont nous disposons, je me suis aperçu qu’il était possible d’en dégager un thème central et récurrent qui permet de parler de plusieurs livres simultanément. C’est pourquoi, j’ai choisi d’aborder la désertification (et la sécheresse), le problème de l’eau (et la situation géopolitique qui en découle), le tourisme de masse (et ses ravages) à travers une ville un peu oubliée, celle de Tombouctou.

                Vous pourrez donc, sur ces sujets, lire les livres suivants :

                - « Voyage à Tombouctou » de René Caillé

                - « Le sel du désert » d’Odette du Puigaudeau

                - « Je suis né avec du sable dans les yeux » de Mano Dayak

                - « Ecrits sur le sable » d’Isabelle Eberhardt

 

TOMBOUCTOU : VILLE MYTHIQUE OUBLIEE

 

                La ville est à la lisière de deux mondes : le désert saharien qui l’entoure et non loin de là, l’immonde marécage que traverse le Niger. Il y a donc deux façons de parvenir à Tombouctou : soit par le sable ( mais véritablement d’aucun point de départ cité), soit par Bamako (Mali) dont l’unique route - pour ne pas dire le plus grand chemin chaotique - à parcourir se compte en espace-temps et non en kilomètres. Cette remarque purement géographique et si commune soit-elle ne relève pas d’une démarche de guide mais bien plutôt de l’approche sociologique de la ville. Venir par le sable, c’est être accompagné par les Touaregs - ces grands nomades pour l’éternité - ou les Maures; venir de Bamako, c’est parvenir avec les Shonghaïs ou les Bellas (les « Blak » du lieu) sédentaires et reconnaissants les frontières ( lesquelles ?) en mal d’être déterminées.

                Nulle question de refaire l’historique de cette ville mais rappelons, tout de même, que Tombouctou - bien avant l’aventure de René Caillé, premier « blanc » à pénétrer dans Tombouctou - était le passage obligatoire pour le commerce entre le Nord et le Sud de l’Afrique. Endroit stratégique, s’il en fût, car la ville étant difficile d’accés et incontrôlable par des frontières aléatoires, et qui plus est non reconnues ( à vrai dire le mot « frontière » n’existe pas dans le vocabulaire tamashek, langue des Touaregs et de leurs esclaves historiques les Bellas ) par aucune des populations présentes. Point de rencontre d’abord et installation d’un village voué au mercantilisme ensuite, dont seuls les murs n’avaient rien d’images fictives. Mais à ces murs d’un type figuratif répondait le passage des Touaregs qui animaient durant quelques  nuits sans lois, un marché non spéculatif mais vital qui s’éteignait dans les dernières braises de l’aurore. Restait un village fantôme qui devînt rapidement une ville d’hommes affranchis et libérés du joug des Touaregs : les Bellas. Ces derniers, ainsi que les Maures, s’installèrent à Tombouctou avec étal et de petites cabanes sur la place du marché. Il y eut  alors ce phénomène bien connu : l’ancien esclave devient maître et une économie secondaire se développa dans l’étouffante chaleur des ruelles sordides de Tombouctou, cachée des regards des Touaregs qui - toujours grands seigneurs - continuèrent de traverser la ville avec d’imposantes caravanes de chameaux (600 à 3000), refusant d’être sédentarisés.

                Vînt alors ce que j’appelle « la civilisation coloniale ». Impossible d’en résumer tous les méfaits de cette entreprise qui eut pour conséquence de calmer les Touaregs dans leurs instincts guerriers alors que par ailleurs, elle armait les autres tribus (anciens esclaves généralement) devenues riches et clients potentiels des pays Européens. C’est à partir de ce moment là, que le mythe de Tombouctou, dans sa valeur intrinsèque, périclite et que seul le nom de Tombouctou demeure un rêve ou un mythe pour qui ne connaît pas cette ville. Ajoutons que la création d’Etat avec des frontières sans cesse contestées par les tribus n’a fait qu’empirer la cohabitation toute relative entre sédentaires et nomades.

Une même tribu (les Zaouât) peut très bien être divisée entre le Mali et le Niger. Ces tribus parfaitement organisées en société - de même que la société Touareg - s’opposent à l’Etat (référence à Pierre Clastre : la Société contre l’Etat). Ces états qui ne sont qu’une pâle figure des Etats Européens, ont été créés sans tenir compte des spécificités de chaque ethnie et donc dans une situation latente de guerre savamment entretenue par les Européens. Tombouctou ne pouvait échapper à cette maladie endémique.

 

                Mais un autre problème survînt : les deux sécheresses de 1973 et 1984 qui décimèrent les troupeaux des peuples nomades, lesquels répartis sur cinq pays (Niger, Mali, Lybie, Algérie et Burkina-Faso) ravitaillaient des villes comme Tombouctou ou Agadès. Dés lors, les produits de première nécessité - pour Tombouctou - ne pouvaient venir que des transits, et mieux des trafics de Bamako. Fortement ébranlé par la corruption et sous contrainte de l’O.N.U., le président Moussa Traoré tenta de sauver son pouvoir en faisant exécuter - pour l’exemple - le gouverneur de Tombouctou qui avait engrangé les produits de  « survie » à des fins spéculatives alors que toute la population était gagnée par la famine. En ce qui concerne les Touaregs (l’origine du mot,donné par les arabes signifie : abandonnés de Dieu), ils étaient abandonnés de tous et déjà combattus par les tribus sédentaires.

                La rébellion des Touaregs qui dura de 1990 à 1995 fût d’abord une révolte contre la mainmise des Etats centralisés qui assurent le triomphe meurtrier de la pensée sédentaire sur tous les territoires. De Tombouctou à Janet (Sud-Algérien), les Etats sahariens menèrent une politique criminelle contre les Touaregs (plusieurs milliers de morts durant cette périodes). Les assassinats de « blancs » durant cette même période relève du fait de ces Etats (Algérie, Lybie, Mali, …) et non pas du peuple Touareg. Que dire alors de ces accords précaires signés à Djanet restituant un  « espace » saharien aux Touaregs ? Est-il possible de rendre un espace âpre et violent réparti sur 5 pays alors même que l’identité Touareg refuse l’aliénation par la sédentarisation ? Le mythe s’est effondré; les caravanes de chameaux ont repris leur lente marche, délaissant Tombouctou rongée par cette lèpre moderne, moins barbare sans doute que les campagnes d’extermination mais porteuse de ravages tout aussi irréversibles : le tourisme ! Un dernier souvenir : entre Djanet et Ghat (Lybie), le touareg Er’rosini m’a écrit sur le sable quelques signes de Tamahaq (langue du Tassili N’djaner) son dernier espoir, une sorte de vérité première que l’on découvre en dernier :

                               « La Terre n’a qu’un Soleil »

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